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elles viennent à naître, elles ont une autre physionomie.

Dans les aristocraties, la carrière de l'ambition est souvent étendue ; mais ses bornes sont fixes. Dans les pays démocratiques, elle s'agite d'ordinaire dans un champ étroit ; mais vient-elle à en sortir, on dirait qu'il n'y a plus rien qui la limite. Comme les hommes y sont faibles, isolés et mouvants ; que les précédents y ont peu d'empire, et les lois peu de durée, la résistance aux nouveautés y est molle, et le corps social n'y paraît jamais fort droit, ni bien ferme dans son assiette. De sorte que, quand les ambitieux ont une fois la puissance en main, ils croient pouvoir tout oser ; et, quand elle leur échappe, ils songent aussitôt à bouleverser l'état pour la reprendre. Cela donne à la grande ambition politique un caractère violent et révolutionnaire, qu'il est rare de lui voir, au même degré, dans les sociétés aristocratiques.

Une multitude de petites ambitions fort sensées, du milieu desquelles s'élancent de loin en loin quelques grands désirs mal réglés : tel est d'ordinaire le tableau que présentent les nations démocratiques. Une ambition proportionnée, modérée et vaste, ne s'y rencontre guère.

J'ai montré ailleurs par quelle force secrète l'égalité faisait prédominer, dans le cœur humain, la passion des jouissances matérielles, et l'amour exclusif du présent ; ces différents instincts se mêlent au sentiment de l'ambition, et le teignent, pour ainsi dire, de leurs couleurs.

Je pense que les ambitieux des démocraties se préoccupent