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un homme libre ou d’un esclave ; on y glorifiait certains vices, on y avait élevé certaines vertus par-delà toutes les autres.

«Or, était en ce temps-là, dit Plutarque dans la vie de Coriolan, la prouesse honorée et prisée à Rome, par dessus toutes les autres vertus. De quoi fait foi de ce que l’on la nommait virtus ; du nom même de la vertu, en attribuant le nom du commun genre à une espèce particulière. Tellement que vertu en latin était autant à dire comme vaillance.» Qui ne reconnaît là le besoin particulier de cette association singulière qui s’était formée pour la conquête du monde ?

Chaque nation prêtera à des observations analogues ; car, ainsi que je l’ai dit plus haut, toutes les fois que les hommes se rassemblent en société particulière, il s’établit aussitôt parmi eux un honneur, c’est-à-dire un ensemble d’opinions qui leur est propre sur ce qu’on doit louer ou blâmer ; et ces règles particulières ont toujours leur source dans les habitudes spéciales et les intérêts spéciaux de l’association.

Cela s’applique dans une certaine mesure, aux sociétés démocratiques comme aux autres. Nous allons en retrouver la preuve chez les Américains[1].

On rencontre encore éparses parmi les opinions des Américains, quelques notions détachées de l’ancien honneur aristocratique de l’Europe. Ces opinions traditionnelles sont en très-petit

  1. Je parle ici des Américains qui habitent les pays où l’esclavage n’existe pas. Ce sont les seuls qui puissent présenter l’image complète d’une société démocratique