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homme auquel il était obligé d’obéir. C’est par celui-là que, sans le savoir, on tenait à tous les autres. Dans les sociétés féodales, tout l’ordre public roulait donc sur le sentiment de fidélité à la personne même du seigneur. Cela détruit, on tombait aussitôt dans l’anarchie.

La fidélité au chef politique était d’ailleurs un sentiment dont tous les membres de l’aristocratie apercevaient chaque jour le prix, car chacun d’eux était à la fois seigneur et vassal, et avait à commander aussi bien qu’à obéir.

Rester fidèle à son seigneur, se sacrifier pour lui au besoin, partager sa fortune bonne ou mauvaise, l’aider dans ses entreprises quelles qu’elles fussent, telles furent les premières prescriptions de l’honneur féodal en matière politique. La trahison du vassal fut condamnée par l’opinion, avec une rigueur extraordinaire. On créa un nom particulièrement infamant pour elle, on l’appela félonie.

On ne trouve au contraire, dans le moyen-âge, que peu de traces d’une passion qui a fait la vie des sociétés antiques. Je veux parler du patriotisme. Le nom même du patriotisme n’est point ancien dans notre idiome[1].

Les institutions féodales dérobaient la patrie aux regards ; elles en rendaient l’amour moins nécessaire. Elles faisaient oublier la nation en passionnant pour un homme.

  1. Le mot patrie lui-même ne se rencontre dans les auteurs français qu’à partir du seizième siècle.