Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/388

Cette page n’a pas encore été corrigée

une loi de l'humanité, ni de la douceur ; mais il vantait la générosité ; il prisait la libéralité plus que la bienfaisance, il permettait qu'on s'enrichît par le jeu, par la guerre, mais non par le travail ; il préférait de grands crimes à de petits gains. La cupidité le révoltait moins que l'avarice, la violence lui agréait souvent, tandis que l'astuce et la trahison lui paraissaient toujours méprisables.

Ces notions bizarres n'étaient pas nées du caprice seul de ceux qui les avaient conçues.

Une classe qui est parvenue à se mettre à la tête et au-dessus de toutes les autres, et qui fait de constants efforts pour se maintenir à ce rang suprême, doit particulièrement honorer les vertus qui ont de la grandeur et de l'éclat et qui peuvent se combiner aisément avec l'orgueil et l'amour du pouvoir. Elle ne craint pas de déranger l'ordre naturel de la conscience, pour placer ces vertus-là avant toutes les autres. On conçoit même qu'elle élève volontiers certains vices audacieux et brillants, au-dessus des vertus paisibles et modestes. Elle y est en quelque sorte contrainte par sa condition.

En avant de toutes les vertus, et à la place d'un grand nombre d'entre elles, les nobles du moyen âge mettaient le courage militaire.

C'était encore là une opinion singulière qui naissait forcément de la singularité de l'état social.

L'aristocratie féodale était née par la guerre et pour la guerre ; elle avait trouvé dans les armes son pouvoir et elle le maintenait par les armes ; rien ne lui était donc plus