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L'honneur, dans le temps de son plus grand pouvoir, régit la volonté plus que la croyance, et les hommes, alors même qu'ils se soumettent sans hésitation et sans murmure à ses commandements, sentent encore, par une sorte d'instinct obscur, mais puissant, qu'il existe une loi plus générale, plus ancienne et plus sainte, à laquelle ils désobéissent quelquefois sans cesser de la connaître. Il y a des actions qui ont été jugées à la fois honnêtes et déshonorantes. Le refus d'un duel a souvent été dans ce cas.

Je crois qu'on peut expliquer ces phénomènes autrement que par le caprice de certains individus et de certains peuples, ainsi qu'on l'a fait jusqu'ici.

Le genre humain éprouve des besoins permanents et généraux, qui ont fait naître des lois morales à l'inobservation desquelles tous les hommes ont naturellement attaché, en tous lieux et en tous temps, l'idée du blâme et de la honte. Ils ont appelé faire mal s'y soustraire, faire bien s'y soumettre.

Il s'établit de plus, dans le sein de la vaste association humaine, des associations plus restreintes, qu'on nomme des peuples, et, au milieu de ces derniers, d'autres plus petites encore, qu'on appelle des classes ou des castes.

Chacune de ces associations forme comme une espèce particulière dans le genre humain ; et, bien qu'elle ne diffère point essentiellement de la masse des hommes, elle s'en tient quelque peu à part, et éprouve des besoins qui lui sont propres. Ce sont ces besoins spéciaux qui