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CHAPITRE XIV


QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LES MANIÈRES AMÉRICAINES.


Il n’y a rien, au premier abord, qui semble moins important que la forme extérieure des actions humaines, et il n’y a rien à quoi les hommes attachent plus de prix ; ils s’accoutument à tout, excepté à vivre dans une société qui n’a pas leurs manières. L’influence qu’exerce l’état social et politique sur les manières vaut donc la peine d’être sérieusement examinée.

Les manières sortent, en général, du fond même des mœurs, et, de plus, elles résultent quelquefois d’une convention arbitraire entre certains hommes. Elles sont, en même temps, naturelles et acquises.

Quand des hommes s’aperçoivent qu’ils sont les premiers sans contestation et sans peine ; qu’ils ont chaque jour sous les yeux de grands objets dont ils s’occupent, laissant à d’autres les détails ; et qu’ils vivent au sein d’une richesse qu’ils n’ont pas acquise et qu’ils ne craignent pas de perdre, on conçoit qu’ils éprouvent une sorte de dédain superbe pour les petits intérêts et les