Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/35

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

transporte cette même habitude dans toutes les autres, et c’est ainsi que le besoin de découvrir en toutes choses des règles communes, de renfermer un grand nombre d’objets sous une même forme, et d’expliquer un ensemble de faits par une seule cause, devient une passion ardente et souvent aveugle de l’esprit humain.

Rien ne montre mieux la vérité de ce qui précède que les opinions de l’antiquité relativement aux esclaves.

Les génies les plus profonds et les plus vastes de Rome et de la Grèce n’ont jamais pu arriver à cette idée si générale, mais en même temps si simple, de la similitude des hommes, et du droit égal que chacun d’eux apporte, en naissant, à la liberté ; et ils se sont évertués à prouver que l’esclavage était dans la nature, et qu’il existerait toujours. Bien plus, tout indique que ceux des anciens qui ont été esclaves avant de devenir libres, et dont plusieurs nous ont laissés de beaux écrits, envisageaient eux-mêmes la servitude sous ce même jour.

Tous les grands écrivains de l’antiquité faisaient partie de l’aristocratie des maîtres, ou du moins ils voyaient cette aristocratie établie sans contestation sous leurs yeux ; leur esprit, après s’être étendu de plusieurs côtés, se trouva donc borné de celui-là, et il fallut que Jésus-Christ vînt sur la terre pour faire comprendre que tous les membres de l’espèce humaine étaient naturellement semblables et égaux.

Dans les siècles d’égalité, tous les hommes sont indépendants les uns des autres, isolés et faibles ; on n’en voit point dont la volonté dirige d’une façon permanente