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conditions semblaient fixées à toujours, et la société entière paraissait si immobile, qu’on n’imaginait point que rien dût jamais remuer dans son sein.

Dans les siècles d’égalité, l’esprit humain prend un autre tour. Il se figure aisément que rien ne demeure. L’idée de l’instabilité le possède.

En cette disposition, le propriétaire et le fermier lui-même, ressentent une sorte d’horreur instinctive pour les obligations à long terme ; ils ont peur de se trouver bornés un jour par la convention dont aujourd’hui ils profitent. Ils s’attendent vaguement à quelque changement soudain et imprévu dans leur condition. Ils se redoutent eux-mêmes ; ils craignent que leur goût venant à changer, ils ne s’affligent de ne pouvoir quitter ce qui faisait l’objet de leurs convoitises, et ils ont raison de le craindre ; car, dans les siècles démocratiques, ce qu’il y a de plus mouvant, au milieu du mouvement de toutes choses, c’est le cœur de l’homme.