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CHAPITRE XIII


POURQUOI LES AMÉRICAINS SE MONTRENT SI INQUIETS AU MILIEU DE LEUR BIEN-ÊTRE.


On rencontre encore quelquefois dans certains cantons retirés de l’ancien monde, de petites populations qui ont été comme oubliées au milieu du tumulte universel et qui sont restées immobiles quand tout remuait autour d’elles. La plupart de ces peuples sont fort ignorants et fort misérables ; ils ne se mêlent point aux affaires du gouvernement, et souvent les gouvernements les oppriment. Cependant, ils montrent d’ordinaire un visage serein, et ils font souvent paraître une humeur enjouée.

J’ai vu en Amérique les hommes les plus libres et les plus éclairés, placés dans la condition la plus heureuse qui soit au monde ; il m’a semblé qu’une sorte de nuage couvrait habituellement leurs traits ; ils m’ont paru graves et presque tristes jusque dans leurs plaisirs.

La principale raison de ceci est que les premiers ne pensent point aux maux qu’ils endurent, tandis que les