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Je ne vois donc pas clairement pourquoi la doctrine de l’intérêt bien entendu écarterait les hommes des croyances religieuses, et il me semble, au contraire, que je démêle comment elle les en rapproche.

Je suppose que, pour atteindre le bonheur de ce monde, un homme résiste en toutes rencontres à l’instinct, et raisonne froidement tous les actes de sa vie ; qu’au lieu de céder aveuglément à la fougue de ses premiers désirs, il ait appris l’art de les combattre, et qu’il se soit habitué à sacrifier sans efforts le plaisir du moment à l’intérêt permanent de toute sa vie.

Si un pareil homme a foi dans la religion qu’il professe, il ne lui en coûtera guère de se soumettre aux gênes qu’elle impose. La raison même lui conseille de le faire, et la coutume l’a préparé d’avance à le souffrir.

Que s’il a conçu des doutes sur l’objet de ses espérances, il ne s’y laissera point aisément arrêter, et il jugera qu’il est sage de hasarder quelques uns des biens de ce monde pour conserver ses droits à l’immense héritage qu’on lui promet dans l’autre.

« De se tromper en croyant la religion chrétienne vraie, a dit Pascal, il n’y a pas grand’chose à perdre ; mais quel malheur de se tromper en la croyant fausse ! »

Les Américains n’affectent point une indifférence grossière pour l’autre vie ; ils ne mettent pas un puéril orgueil à mépriser des périls auxquels ils espèrent se soustraire.

Ils pratiquent donc leur religion sans honte et sans faiblesse ; mais on voit d’ordinaire, jusqu’au milieu de