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peuvent se passer de la population qui les environne.

Il arrive alors que l’on songe à ses semblables par ambition, et que souvent on trouve en quelque sorte son intérêt à s’oublier soi-même. Je sais qu’on peut m’opposer ici toutes les intrigues qu’une élection fait naître ; les moyens honteux dont les candidats se servent souvent et les calomnies que leurs ennemis répandent. Ce sont là des occasions de haine, et elles se représentent d’autant plus souvent que les élections deviennent plus fréquentes.

Ces maux sont grands sans doute, mais ils sont passagers, tandis que les biens qui naissent avec eux demeurent.

L’envie d’être élu peut porter momentanément certains hommes à se faire la guerre ; mais ce même désir porte à la longue tous les hommes à se prêter un mutuel appui ; et, s’il arrive qu’une élection divise accidentellement deux amis, le système électoral rapproche d’une manière permanente une multitude de citoyens qui seraient toujours restés étrangers les uns aux autres. La liberté crée des haines particulières ; mais le despotisme fait naître l’indifférence générale.

Les Américains ont combattu par la liberté l’individualisme que l’égalité faisait naître, et ils l’ont vaincu.

Les législateurs de l’Amérique n’ont pas cru que, pour guérir une maladie si naturelle au corps social dans les temps démocratiques et si funeste, il suffisait d’accorder à la nation tout entière une représentation d’elle-même ; ils ont pensé que de plus il convenait de donner