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plaisirs que l’égalité procure s’offrent d’eux-mêmes. Chacun des petits incidents de la vie privée semblent les faire naître, et pour les goûter il ne faut que vivre.

Les peuples démocratiques aiment l’égalité dans tous les temps, mais il est de certaines époques où ils poussent jusqu’au délire la passion qu’ils ressentent pour elle. Ceci arrive au moment où l’ancienne hiérarchie sociale, longtemps menacée, achève de se détruire, après une dernière lutte intestine, et que les barrières qui séparaient les citoyens sont enfin renversées. Les hommes se précipitent alors sur l’égalité comme sur une conquête, et ils s’y attachent comme à un bien précieux qu’on veut leur ravir. La passion d’égalité pénètre de toutes parts dans le cœur humain, elle s’y étend, elle le remplit tout entier. Ne dites point aux hommes qu’en se livrant ainsi aveuglément à une passion exclusive, ils compromettent leurs intérêts les plus chers ; ils sont sourds. Ne leur montrez pas la liberté qui s’échappe de leurs mains, tandis qu’ils regardent ailleurs ; ils sont aveugles, ou plutôt ils n’aperçoivent dans tout l’univers qu’un seul bien digne d’envie.

Ce qui précède s’applique à toutes les nations démocratiques. Ce qui suit ne regarde que nous-mêmes.

Chez la plupart des nations modernes, et en particulier chez tous les peuples du continent de l’Europe, le goût et l’idée de la liberté n’ont commencé à naître et à se développer qu’au moment où les conditions commençaient à s’égaliser, et comme conséquence de cette