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particulières moins. Dans les temps d’aristocratie, c’est le contraire : les influences particulières sont plus fortes, et les causes générales sont plus faibles, à moins qu’on ne considère comme une cause générale le fait même de l’inégalité des conditions, qui permet à quelques individus de contrarier les tendances naturelles de tous les autres.

Les historiens qui cherchent à peindre ce qui se passe dans les sociétés démocratiques ont donc raison de faire une large part aux causes générales, et de s’appliquer principalement à les découvrir ; mais ils ont tort de nier entièrement l’action particulière des individus, parce qu’il est mal aisé de la retrouver et de la suivre.

Non seulement les historiens qui vivent dans les siècles démocratiques sont entraînés à donner à chaque fait une grande cause, mais ils sont encore portés à lier les faits entre eux et à en faire sortir un système.

Dans les siècles d’aristocratie, l’attention des historiens étant détournée à tous moments sur les individus, l’enchaînement des événements leur échappe ; ou plutôt ils ne croient pas à un enchaînement semblable. La trame de l’histoire leur semble à chaque instant rompue par le passage d’un homme.

Dans les siècles démocratiques, au contraire, l’historien voyant beaucoup moins les acteurs, et beaucoup plus les actes, peut établir aisément une filiation et un ordre méthodique entre ceux-ci.

La littérature antique, qui nous a laissé de si belles histoires, n’offre point un seul grand système histo-