Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il faut que, sur-le-champ, je prévienne le lecteur contre une erreur qui me serait fort préjudiciable.

En me voyant attribuer tant d’effets divers à l’égalité, il pourrait en conclure que je considère l’égalité comme la cause unique de tout ce qui arrive de nos jours. Ce serait me supposer une vue bien étroite.

Il y a, de notre temps, une foule d’opinions, de sentiments, d’instincts qui ont dû la naissance à des faits étrangers ou même contraires à l’égalité. C’est ainsi que si je prenais les États-Unis pour exemple, je prouverais aisément que la nature du pays, l’origine de ses habitants, la religion des premiers fondateurs, leurs lumières acquises, leurs habitudes antérieures, ont exercé et exercent encore, indépendamment de la Démocratie, une immense influence sur leur manière de penser et de sentir. Des causes différentes mais aussi distinctes du fait de l’égalité se rencontreraient en Europe et expliqueraient une grande partie de ce qui s’y passe.

Je reconnais l’existence de toutes ces différentes causes et leur puissance, mais mon sujet n’est point d’en parler. Je n’ai pas entrepris de montrer la raison de tous nos penchants et de toutes nos idées ; j’ai seulement voulu faire voir en quelle partie l’égalité avait modifié les uns et les autres.

On s’étonnera peut-être qu’étant fermement de cette opinion, que la révolution démocratique dont nous sommes témoins, est un fait irrésistible contre lequel il ne serait ni désirable ni sage de lutter, il me soit arrivé souvent dans ce livre d’adresser des paroles si