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d’un petit nombre d’auteurs seulement qui sont connus des Européens ou qui devraient l’être.

Quoique l’Amérique soit peut-être de nos jours le pays civilisé où l’on s’occupe le moins de littérature, il s’y rencontre cependant une grande quantité d’individus qui s’intéressent aux choses de l’esprit, et qui en font sinon l’étude de toute leur vie, du moins le charme de leurs loisirs. Mais c’est l’Angleterre qui fournit à ceux-ci, la plupart des livres qu’ils réclament. Presque tous les grands ouvrages anglais sont reproduits aux États-Unis. Le génie littéraire de la Grande-Bretagne darde encore ses rayons jusqu’au fond des forêts du Nouveau-Monde. Il n’y a guère de cabane de pionnier où l’on ne rencontre quelques tomes dépareillés de Shakespeare. Je me rappelle avoir lu pour la première fois le drame féodal d’Henri V dans une log-house.

Non seulement les Américains vont puiser chaque jour dans les trésors de la littérature anglaise, mais on peut dire avec vérité qu’ils trouvent la littérature de l’Angleterre sur leur propre sol. Parmi le petit nombre d’hommes qui s’occupent aux États-Unis à composer des œuvres de littérature la plupart sont Anglais par le fond et surtout par la forme. Ils transportent ainsi au milieu de la démocratie les idées et les usages littéraires qui ont cours chez la nation aristocratique qu’ils ont prise pour modèle. Ils peignent avec des couleurs empruntées des mœurs étrangères ; ne représentant presque jamais dans sa réalité le pays qui les a vus naître, ils y sont rarement populaires.