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Si ce mouvement d’assimilation rapproche des peuples étrangers, il s’oppose à plus forte raison à ce que les rejetons du même peuple deviennent étrangers les uns aux autres.

Il arrivera donc un temps où l’on pourra voir dans l’Amérique du Nord cent cinquante millions d’hommes[1] égaux entre eux, qui tous appartiendront à la même famille, qui auront le même point de départ, la même civilisation, la même langue, la même religion, les mêmes habitudes, les mêmes mœurs, et à travers lesquels la pensée circulera sous la même forme et se peindra des mêmes couleurs. Tout le reste est douteux, mais ceci est certain. Or, voici un fait entièrement nouveau dans le monde, et dont l’imagination elle-même ne saurait saisir la portée.

Il y a aujourd’hui sur la terre deux grands peuples qui, partis de points différents, semblent s’avancer vers le même but : ce sont les Russes et les Anglo-Américains.

Tous deux ont grandi dans l’obscurité ; et tandis que les regards des hommes étaient occupés ailleurs, ils se sont placés tout à coup au premier rang des nations, et le monde a appris presque en même temps leur naissance et leur grandeur.

Tous les autres peuples paraissent avoir atteint à peu près les limites qu’a tracées la nature, et n’avoir plus

  1. C’est la population proportionnelle à celle de l’Europe, en prenant la moyenne de 410 hommes par lieue carrée.