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senter une physionomie commune. On ne peut prévoir l’époque où l’homme pourra établir dans le nouveau monde l’inégalité permanente des conditions.

Quelles que soient donc les différences que la paix ou la guerre, la liberté ou la tyrannie, la prospérité ou la misère, mettent un jour dans la destinée des divers rejetons de la grande famille anglo-américaine, ils conserveront tous du moins un état social analogue et auront de commun les usages et les idées qui découlent de l’état social.

Le seul lien de la religion a suffi au moyen âge pour réunir dans une même civilisation les races diverses qui peuplèrent l’Europe. Les Anglais du nouveau monde ont entre eux mille autres liens, et ils vivent dans un siècle où tout cherche à s’égaliser parmi les hommes.

Le moyen âge était une époque de fractionnement. Chaque peuple, chaque province, chaque cité, chaque famille, tendaient alors fortement à s’individualiser. De nos jours, un mouvement contraire se fait sentir, les peuples semblent marcher vers l’unité. Des liens intellectuels unissent entre elles les parties les plus éloignées de la terre, et les hommes ne sauraient rester un seul jour étrangers les uns aux autres, ou ignorants de ce qui se passe dans un coin quelconque de l’univers : aussi remarque-t-on aujourd’hui moins de différence entre les Européens et leurs descendants du nouveau monde, malgré l’Océan qui les divise, qu’entre certaines villes du xiiie siècle qui n’étaient séparées que par une rivière.