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Le territoire occupé ou possédé de nos jours par les États-Unis d’Amérique forme à peu près la vingtième partie des terres habitées.

Quelque étendues que soient ces limites, on aurait tort de croire que la race anglo-américaine s’y renfermera toujours ; elle s’étend déjà bien au-delà.

Il fut un temps où nous aussi nous pouvions créer dans les déserts américains une grande nation française et balancer avec les Anglais les destinées du nouveau monde. La France a possédé autrefois dans l’Amérique du Nord un territoire presque aussi vaste que l’Europe entière. Les trois plus grands fleuves du continent coulaient alors tout entiers sous nos lois. Les nations indiennes qui habitent depuis l’embouchure du Saint-Laurent jusqu’au delta du Mississipi n’entendaient parler que notre langue ; tous les établissements européens répandus sur cet immense espace rappelaient le souvenir de la patrie : c’étaient Louisbourg, Montmorency, Duquesne, Saint-Louis, Vincennes, La Nouvelle-Orléans, tous noms chers à la France et familiers à nos oreilles.

Mais un concours de circonstances qu’il serait trop long d’énumérer[1] nous a privés de ce magnifique héritage. Partout où les Français étaient peu nombreux et mal établis, ils ont disparu. Le reste s’est aggloméré

  1. En première ligne celle-ci : les peuples libres et habitués au régime municipal parviennent bien plus aisément que les autres à créer de florissantes colonies. L’habitude de penser par soi-même et de se gouverner est indispensable dans un pays nouveau, où le succès dépend nécessairement en grande partie des efforts individuels des colons