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sent jusqu’à un certain point à se mêler avec eux ; la législation est plus dure à leur égard ; les habitudes sont plus tolérantes et plus douces.

Au Sud, le maître ne craint pas d’élever jusqu’à lui son esclave, parce qu’il sait qu’il pourra toujours, s’il le veut, le rejeter dans la poussière. Au Nord, le blanc n’aperçoit plus distinctement la barrière qui doit le séparer d’une race avilie, et il s’éloigne du nègre avec d’autant plus de soin qu’il craint d’arriver un jour à se confondre avec lui.

Chez l’Américain du Sud, la nature, rentrant quelquefois dans ses droits, vient pour un moment rétablir entre les blancs et les noirs l’égalité. Au Nord, l’orgueil fait taire jusqu’à la passion la plus impérieuse de l’homme. L’Américain du Nord consentirait peut-être à faire de la négresse la compagne passagère de ses plaisirs, si les législateurs avaient déclaré qu’elle ne doit pas aspirer à partager sa couche ; mais elle peut devenir son épouse, et il s’éloigne d’elle avec une sorte d’horreur.

C’est ainsi qu’aux États-Unis le préjugé qui repousse les nègres semble croître à proportion que les nègres cessent d’être esclaves, et que l’inégalité se grave dans les mœurs à mesure qu’elle s’efface dans les lois.

Mais si la position relative des deux races qui habitent les États-Unis est telle que je viens de la montrer, pourquoi les Américains ont-ils aboli l’esclavage au nord de l’Union, pourquoi le conservent-ils au midi, et d’où vient qu’ils y aggravent ses rigueurs ?