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clémence du ciel plutôt que la patience de leurs sujets.

Ceux-là me semblent bien aveugles qui pensent retrouver la monarchie de Henri IV ou de Louis XIV. Quant à moi, lorsque je considère l’état où sont déjà arrivées plusieurs nations européennes et celui où toutes les autres tendent, je me sens porté à croire que bientôt parmi elles il ne se trouvera plus de place que pour la liberté démocratique ou pour la tyrannie des Césars.

Ceci ne mérite pas qu’on y songe ? Si les hommes devaient arriver, en effet, à ce point qu’il fallût les rendre tous libres ou tous esclaves, tous égaux en droits ou tous privés de droits ; si ceux qui gouvernent les sociétés en étaient réduits à cette alternative d’élever graduellement la foule jusqu’à eux, ou de laisser tomber tous les citoyens au-dessous du niveau de l’humanité, n’en serait-ce pas assez pour vaincre bien des doutes, rassurer bien des consciences, et préparer chacun à faire aisément de grands sacrifices ?

Ne faudrait-il pas alors considérer le développement graduel des institutions et des mœurs démocratiques, non comme le meilleur, mais comme le seul moyen qui nous reste d’être libres ; et sans aimer le gouvernement de la démocratie, ne serait-on pas disposé à l’adopter comme le remède le mieux applicable et le plus honnête qu’on puisse opposer aux maux présents de la société ?

Il est difficile de faire participer le peuple au gouvernement ; il est plus difficile encore de lui fournir l’expé-