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les hommes qui ont le plus de lumières, de patriotisme et d’humanité, font des efforts extraordinaires pour dégoûter le peuple du simple bonheur qui lui suffit encore. Ils célèbrent les avantages de la richesse, de même que parmi nous ils vanteraient peut-être les charmes d’une honnête médiocrité, et ils mettent plus de soin à aiguillonner les passions humaines qu’ailleurs on n’emploie d’efforts pour les calmer. Échanger les plaisirs purs et tranquilles que la patrie présente au pauvre lui-même contre les stériles jouissances que donne le bien-être sous un ciel étranger ; fuir le foyer paternel et les champs où reposent ses aïeux ; abandonner les vivants et les morts pour courir après la fortune, il n’y a rien qui à leurs yeux mérite plus de louanges.

De notre temps, l’Amérique livre aux hommes un fonds toujours plus vaste que ne saurait l’être l’industrie qui le fait valoir.

En Amérique, on ne saurait donc donner assez de lumières ; car toutes les lumières, en même temps qu’elles peuvent être utiles à celui qui les possède, tournent encore au profit de ceux qui ne les ont point. Les besoins nouveaux n’y sont pas à craindre, puisque tous les besoins s’y satisfont sans peine : il ne faut pas redouter d’y faire naître trop de passions, puisque toutes les passions trouvent un aliment facile et salutaire ; on ne peut y rendre les hommes trop libres, parce qu’ils ne sont presque jamais tentés d’y faire un mauvais usage de la liberté.