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Dans les procès criminels, où la société lutte contre un homme, le jury est porté à voir dans le juge l’instrument passif du pouvoir social, et il se défie de ses avis. De plus, les procès criminels reposent entièrement sur des faits simples que le bon sens parvient aisément à apprécier. Sur ce terrain, le juge et le juré sont égaux.

Il n’en est pas de même dans les procès civils ; le juge apparaît alors comme un arbitre désintéressé entre les passions des parties. Les jurés le voient avec confiance, et ils l’écoutent avec respect ; car ici son intelligence domine entièrement la leur. C’est lui qui déroule devant eux les divers arguments dont on a fatigué leur mémoire, et qui les prend par la main pour les diriger à travers les détours de la procédure ; c’est lui qui les circonscrit dans le point de fait et leur enseigne la réponse qu’ils doivent faire à la question de droit. Son influence sur eux est presque sans bornes.

Faut-il dire enfin pourquoi je me sens peu ému des arguments tirés de l’incapacité des jurés en matière civile ?

Dans les procès civils, toutes les fois du moins qu’il ne s’agit pas de questions de fait, le jury n’a que l’apparence d’un corps judiciaire.

Les jurés prononcent l’arrêt que le juge a rendu. Ils prêtent à cet arrêt l’autorité de la société qu’ils représentent, et lui, celle de la raison et de la loi (note D).

En Angleterre et en Amérique, les juges exercent sur le sort des procès criminels une influence que le juge français n’a jamais connue. Il est facile de comprendre