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voit réduit à les modifier en quelque point, pour les adapter aux changements que le temps fait subir aux sociétés, il recourt aux plus incroyables subtilités, afin de se persuader qu’en ajoutant quelque chose à l’œuvre de ses pères, il ne fait que développer leur pensée et compléter leurs travaux. N’espérez pas lui faire reconnaître qu’il est novateur ; il consentira à aller jusqu’à l’absurde avant que de s’avouer coupable d’un si grand crime. C’est en Angleterre qu’est né cet esprit légal, qui semble indifférent au fond des choses, pour ne faire attention qu’à la lettre, et qui sortirait plutôt de la raison et de l’humanité que de la loi.

La législation anglaise est comme un arbre antique, sur lequel les légistes ont greffé sans cesse les rejetons les plus étrangers, dans l’espérance que, tout en donnant des fruits différents, ils confondront du moins leur feuillage avec la tige vénérable qui les supporte.

En Amérique, il n’y a point de nobles ni de littérateurs, et le peuple se défie des riches. Les légistes forment donc la classe politique supérieure et la portion la plus intellectuelle de la société. Ainsi, ils ne pourraient que perdre à innover : ceci ajoute un intérêt conservateur au goût naturel qu’ils ont pour l’ordre.

Si l’on me demandait où je place l’aristocratie américaine, je répondrais sans hésiter que ce n’est point parmi les riches, qui n’ont aucun lien commun qui les rassemble. L’aristocratie américaine est au banc des avocats et sur le siège des juges.

Plus on réfléchit à ce qui se passe aux États-Unis,