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permanente ou d’un accident. Il est vrai que les légistes ont singulièrement contribué à renverser la monarchie française en 1789. Reste à savoir s’ils ont agi ainsi parce qu’ils avaient étudié les lois, ou parce qu’ils ne pouvaient concourir à les faire.

Il y a cinq cents ans, l’aristocratie anglaise se mettait à la tête du peuple et parlait en son nom ; aujourd’hui elle soutient le trône et se fait le champion de l’autorité royale. L’aristocratie a pourtant des instincts et des penchants qui lui sont propres.

Il faut bien se garder aussi de prendre des membres isolés du corps pour le corps lui-même.

Dans tous les gouvernements libres, quelle qu’en soit la forme, on trouvera des légistes aux premiers rangs de tous les partis. Cette même remarque est encore applicable à l’aristocratie. Presque tous les mouvements démocratiques qui ont agité le monde ont été dirigés par des nobles.

Un corps d’élite ne peut jamais suffire à toutes les ambitions qu’il renferme ; il s’y trouve toujours plus de talents et de passions que d’emplois, et on ne manque point d’y rencontrer un grand nombre d’hommes qui, ne pouvant grandir assez vite en se servant des privilèges du corps, cherchent à le faire en attaquant ces privilèges.

Je ne prétends donc point qu’il arrive une époque où tous les légistes, ni que dans tous les temps, la plupart d’entre eux doivent se montrer amis de l’ordre et ennemis des changements.