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Si ces lignes parviennent jamais en Amérique, je suis assuré de deux choses : la première, que les lecteurs élèveront tous la voix pour me condamner ; la seconde, que beaucoup d’entre eux m’absoudront au fond de leur conscience.

J’ai entendu parler de la patrie aux États-Unis. J’ai rencontré du patriotisme véritable dans le peuple ; j’en ai souvent cherché en vain dans ceux qui le dirigent. Ceci se comprend facilement par analogie : le despotisme déprave bien plus celui qui s’y soumet que celui qui l’impose. Dans les monarchies absolues, le roi a souvent de grandes vertus ; mais les courtisans sont toujours vils.

Il est vrai que les courtisans, en Amérique, ne disent point : Sire et Votre Majesté, grande et capitale différence ; mais ils parlent sans cesse des lumières naturelles de leur maître ; ils ne mettent point au concours la question de savoir quelle est celle des vertus du prince qui mérite le plus qu’on l’admire ; car ils assurent qu’il possède toutes les vertus, sans les avoir acquises, et pour ainsi dire sans le vouloir ; ils ne lui donnent pas leurs femmes et leurs filles pour qu’il daigne les élever au rang de ses maîtresses ; mais, en lui sacrifiant leurs opinions, ils se prostituent eux-mêmes.

Les moralistes et les philosophes, en Amérique, ne sont pas obligés d’envelopper leurs opinions dans les voiles de l’allégorie ; mais, avant de hasarder une vérité fâcheuse, ils disent : Nous savons que nous parlons à un peuple trop au-dessus des faiblesses humaines pour ne