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vernement de la démocratie a introduite dans le monde politique, passe ensuite dans la société civile. Je ne sais si, à tout prendre, ce n’est pas là le plus grand avantage du gouvernement démocratique, et je le loue bien plus à cause de ce qu’il fait faire que de ce qu’il fait.

Il est incontestable que le peuple dirige souvent fort mal les affaires publiques ; mais le peuple ne saurait se mêler des affaires publiques sans que le cercle de ses idées ne vienne à s’étendre, et sans qu’on ne voie son esprit sortir de sa routine ordinaire. L’homme du peuple qui est appelé au gouvernement de la société conçoit une certaine estime de lui-même. Comme il est alors une puissance, des intelligences très éclairées se mettent au service de la sienne. On s’adresse sans cesse à lui pour s’en faire un appui, et en cherchant à le tromper de mille manières différentes, on l’éclaire. En politique, il prend part à des entreprises qu’il n’a pas conçues, mais qui lui donnent le goût général des entreprises. On lui indique tous les jours de nouvelles améliorations à faire à la propriété commune ; et il sent naître le désir d’améliorer celle qui lui est personnelle. Il n’est ni plus vertueux ni plus heureux peut-être, mais plus éclairé et plus actif que ses devanciers. Je ne doute pas que les institutions démocratiques, jointes à la nature physique du pays, ne soient la cause, non pas directe, comme tant de gens le disent, mais la cause indirecte du prodigieux mouvement d’industrie qu’on remar-