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comme à l’ouvrage du plus grand nombre, mais encore comme au sien propre ; il la considère sous le point de vue d’un contrat dans lequel il aurait été partie.

On ne voit donc pas, aux États-Unis, une foule nombreuse et toujours turbulente, qui, regardant la loi comme un ennemi naturel, ne jette sur elle que des regards de crainte et de soupçons. Il est impossible, au contraire, de ne point apercevoir que toutes les classes montrent une grande confiance dans la législation qui régit le pays, et ressentent pour elle une sorte d’amour paternel.

Je me trompe en disant toutes les classes. En Amérique, l’échelle européenne des pouvoirs étant renversée, les riches se trouvent dans une position analogue à celle des pauvres en Europe ; ce sont eux qui souvent se défient de la loi. Je l’ai dit ailleurs : l’avantage réel du gouvernement démocratique n’est pas de garantir les intérêts de tous, ainsi qu’on l’a prétendu quelquefois, mais seulement de protéger ceux du plus grand nombre. Aux États-Unis, où le pauvre gouverne, les riches ont toujours à craindre qu’il n’abuse contre eux de son pouvoir.

Cette disposition de l’esprit des riches peut produire un mécontentement sourd ; mais la société n’en est pas violemment troublée ; car la même raison qui empêche le riche d’accorder sa confiance au législateur l’empêche de braver ses commandements. Il ne fait pas la loi parce qu’il est riche, et il n’ose la violer à cause de sa richesse. Chez les nations civilisées, il n’y a, en gé-