Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

société ; le pauvre est admis presque partout où le riche peut entrer : aussi le voit-on se conduire avec décence et respecter tout ce qui sert à des jouissances qu’il partage. En Angleterre, où la richesse a le privilège de la joie comme le monopole du pouvoir, on se plaint que quand le pauvre parvient à s’introduire furtivement dans le lieu destiné aux plaisirs du riche, il aime à y causer des dégâts inutiles : comment s’en étonner ? on a pris soin qu’il n’ait rien à perdre.

Le gouvernement de la démocratie fait descendre l’idée des droits politiques jusqu’au moindre des citoyens, comme la division des biens met l’idée du droit de propriété en général à la portée de tous les hommes. C’est là un de ses plus grands mérites à mes yeux.

Je ne dis point que ce soit chose aisée que d’apprendre à tous les hommes à se servir des droits politiques ; je dis seulement que, quand cela peut être, les effets qui en résultent sont grands.

Et j’ajoute que s’il est un siècle où une pareille entreprise doive être tentée, ce siècle est le nôtre.

Ne voyez-vous pas que les religions s’affaiblissent et que la notion divine des droits disparaît ? Ne découvrez-vous point que les mœurs s’altèrent, et qu’avec elles s’efface la notion morale des droits ?

N’apercevez-vous pas de toutes parts les croyances qui font place aux raisonnements, et les sentiments aux calculs ? Si, au milieu de cet ébranlement universel, vous ne parvenez à lier l’idée des droits à l’intérêt personnel qui s’offre comme le seul point immobile dans le cœur