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a pas d’Européen, cependant, qui n’aperçoive ce qu’il faudrait faire pour préserver ces peuples infortunés d’une destruction inévitable. Mais eux ne le voient point ; ils sentent les maux qui, chaque année, s’accumulent sur leurs têtes, et ils périront jusqu’au dernier en rejetant le remède. Il faudrait employer la force pour les contraindre à vivre.

On s’étonne en apercevant les nouvelles nations de l’Amérique du Sud s’agiter, depuis un quart de siècle, au milieu de révolutions sans cesse renaissantes, et chaque jour on s’attend à les voir rentrer dans ce qu’on appelle leur état naturel. Mais qui peut affirmer que les révolutions ne soient pas, de notre temps, l’état le plus naturel des Espagnols de l’Amérique du Sud ? Dans ce pays, la société se débat au fond d’un abîme dont ses propres efforts ne peuvent la faire sortir.

Le peuple qui habite cette belle moitié d’un hémisphère semble obstinément attaché à se déchirer les entrailles ; rien ne saurait l’en détourner. L’épuisement le fait un instant tomber dans le repos, et le repos le rend bientôt à de nouvelles fureurs. Quand je viens à le considérer dans cet état alternatif de misères et de crimes, je suis tenté de croire que pour lui le despotisme serait un bienfait.

Mais ces deux mots ne pourront jamais se trouver unis dans ma pensée.

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