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La mort était cachée sous ce manteau brillant ; mais on ne l’apercevait point alors, et il régnait d’ailleurs dans l’air de ces climats je ne sais quelle influence énervante qui attachait l’homme au présent, et le rendait insouciant de l’avenir.

L’Amérique du Nord parut sous un autre aspect : tout y était grave, sérieux, solennel ; on eût dit qu’elle avait été créée pour devenir le domaine de l’intelligence, comme l’autre la demeure des sens.

Un océan turbulent et brumeux enveloppait ses rivages ; des rochers granitiques ou des grèves de sable lui servaient de ceinture ; les bois qui couvraient ses rives étalaient un feuillage sombre et mélancolique ; on n’y voyait guère croître que le pin, le mélèze, le chêne vert, l’olivier sauvage et le laurier.

Après avoir pénétré à travers cette première enceinte, on entrait sous les ombrages de la forêt centrale ; là se trouvaient confondus les plus grands arbres qui croissent sur les deux hémisphères. Le platane, le catalpa, l’érable à sucre et le peuplier de Virginie entrelaçaient leurs branches avec celles du chêne, du hêtre et du tilleul.

Comme dans les forêts soumises au domaine de l’homme, la mort frappait ici sans relâche ; mais personne ne se chargeait d’enlever les débris qu’elle avait faits. Ils s’accumulaient donc les uns sur les autres : le temps ne pouvait suffire à les réduire assez vite en poudre et à préparer de nouvelles places. Mais, au milieu même de ces débris, le travail de la reproduction se poursuivait sans cesse. Des plantes grimpantes et des herbes de