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de l’existence communale aux bons plaisirs d’un intendant ; Napoléon les a soumis à ceux du ministre. C’est toujours le même principe, étendu à des conséquences plus ou moins reculées.


(L). PAGE 166.

Cette immutabilité de la constitution en France est une conséquence forcée de nos lois.

Et pour parler d’abord de la plus importante de toutes les lois, celle qui règle l’ordre de succession au trône, qu’y a-t-il de plus immuable dans son principe qu’un ordre politique fondé sur l’ordre naturel de succession de père en fils ? En 1814, Louis XVIII avait fait reconnaître cette perpétuité de la loi de succession politique en faveur de sa famille ; ceux qui ont réglé les conséquences de la révolution de 1830 ont suivi son exemple : seulement ils ont établi la perpétuité de la loi au profit d’une autre famille ; ils ont imité en ceci le chancelier Meaupou, qui, en instituant le nouveau parlement sur les ruines de l’ancien, eut soin de déclarer dans la même ordonnance que les nouveaux magistrats seraient inamovibles, ainsi que l’étaient leurs prédécesseurs.

Les lois de 1830, non plus que celles de 1814, n’indiquent aucun moyen de changer la constitution. Or, il est évident que les moyens ordinaires de la législation ne sauraient suffire à cela.

De qui le roi tient-il ses pouvoirs ? de la constitution. De qui les pairs ? de la constitution. De qui les députés ? de la constitution. Comment donc le roi, les pairs et les députés, en se réunissant, pourraient-ils changer quelque chose à une loi en vertu de laquelle seule ils gouvernent ? Hors de la constitution ils ne sont rien : sur quel terrain se placeraient-ils donc pour changer la constitution ? De deux choses l’une : ou leurs efforts sont impuissants contre la Charte, qui continue à exister en dépit d’eux, et alors ils continuent à régner en son nom ; ou ils parviennent à changer la Charte, et alors la loi par laquelle ils existaient n’existant plus, ils ne sont plus rien eux-mêmes. En détruisant la Charte, ils se sont détruits.

Cela est bien plus visible encore dans les lois de 1830 que dans celles de 1814. En 1814, le pouvoir royal se plaçait en quelque