Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de résistance reste la même. On peut même dire qu’elle diminue, car plus le peuple est nombreux et plus la nature des esprits et des intérêts se diversifie, plus par conséquent il est difficile de former une majorité compacte.

On a pu remarquer d’ailleurs que les passions humaines acquéraient de l’intensité, non seulement par la grandeur du but qu’elles veulent atteindre, mais aussi par la multitude d’individus qui les ressentent en même temps. Il n’est personne qui ne se soit trouvé plus ému au milieu d’une foule agitée qui partageait son émotion, que s’il eût été seul à l’éprouver. Dans une grande république, les passions politiques deviennent irrésistibles, non seulement parce que l’objet qu’elles poursuivent est immense, mais encore parce que des millions d’hommes les ressentent de la même manière et dans le même moment.

Il est donc permis de dire d’une manière générale que rien n’est si contraire au bien-être et à la liberté des hommes que les grands empires.

Les grands États ont cependant des avantages qui leur sont particuliers et qu’il faut reconnaître.

De même que le désir du pouvoir y est plus ardent qu’ailleurs parmi les hommes vulgaires, l’amour de la gloire y est aussi plus développé chez certaines âmes qui trouvent dans les applaudissements d’un grand peuple un objet digne de leurs efforts et propre à les élever en quelque sorte au-dessus d’elles-mêmes. La pensée y reçoit en toute chose une impulsion plus ra-