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certitude, c’est que l’existence d’une grande république sera toujours infiniment plus exposée que celle d’une petite.

Toutes les passions fatales aux républiques grandissent avec l’étendue du territoire, tandis que les vertus qui leur servent d’appui ne s’accroissent point suivant la même mesure.

L’ambition des particuliers augmente avec la puissance de l’État ; la force des partis, avec l’importance du but qu’ils se proposent ; mais l’amour de la patrie, qui doit lutter contre ces passions destructives, n’est pas plus fort dans une vaste république que dans une petite. Il serait même facile de prouver qu’il y est moins développé et moins puissant. Les grandes richesses et les profondes misères, les métropoles, la dépravation des mœurs, l’égoïsme individuel, la complication des intérêts, sont autant de périls qui naissent presque toujours de la grandeur de l’État. Plusieurs de ces choses ne nuisent point à l’existence d’une monarchie, quelques unes même peuvent concourir à sa durée. D’ailleurs, dans les monarchies, le gouvernement a une force qui lui est propre ; il se sert du peuple et ne dépend pas de lui ; plus le peuple est grand, plus le prince est fort ; mais le gouvernement républicain ne peut opposer à ces dangers que l’appui de la majorité. Or, cet élément de force n’est pas plus puissant, proportion gardée, dans une vaste république que dans une petite. Ainsi, tandis que les moyens d’attaque augmentent sans cesse de nombre et de pouvoir, la force