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ensemble les attributions qui lui ont été données, on découvre sans peine que jamais un plus immense pouvoir judiciaire n’a été constitué chez aucun peuple.

La cour suprême est placée plus haut qu’aucun tribunal connu, et par la nature de ses droits et par l’espèce de ses justiciables.

Chez toutes les nations policées de l’Europe, le gouvernement a toujours montré une grande répugnance à laisser la justice ordinaire trancher des questions qui l’intéressaient lui-même. Cette répugnance est naturellement plus grande lorsque le gouvernement est plus absolu. À mesure, au contraire, que la liberté augmente, le cercle des attributions des tribunaux va toujours en s’élargissant ; mais aucune des nations européennes n’a encore pensé que toute question judiciaire, quelle qu’en fût l’origine, pût être abandonnée aux juges du droit commun.

En Amérique, on a mis cette théorie en pratique. La cour suprême des États-Unis est le seul et unique tribunal de la nation.

Elle est chargée de l’interprétation des lois et de celle des traités ; les questions relatives au commerce maritime, et toutes celles en général qui se rattachent au droit des gens, sont de sa compétence exclusive. On peut même dire que ses attributions sont presque entièrement politiques, quoique sa constitution soit entièrement judiciaire. Son unique but est de faire exécuter les lois de l’Union, et l’Union ne règle que les rapports du gouvernement avec les gouvernés, et de la nation avec les étran-