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On arriverait d’ailleurs ainsi à ce résultat bizarre, qu’un homme serait exclu du gouvernement au moment même où il aurait achevé de prouver qu’il était capable de bien gouverner.

Ces raisons sont puissantes, sans doute ; ne peut-on pas cependant leur en opposer de plus fortes encore ?

L’intrigue et la corruption sont des vices naturels aux gouvernements électifs. Mais lorsque le chef de l’État peut être réélu, ces vices s’étendent indéfiniment et compromettent l’existence même du pays. Quand un simple candidat veut parvenir par l’intrigue, ses manœuvres ne sauraient s’exercer que sur un espace circonscrit. Lorsque au contraire le chef de l’État lui-même se met sur les rangs, il emprunte pour son propre usage la force du gouvernement.

Dans le premier cas, c’est un homme avec ses faibles moyens ; dans le second, c’est l’État lui-même, avec ses immenses ressources, qui intrigue et qui corrompt.

Le simple citoyen qui emploie des manœuvres coupables pour parvenir au pouvoir, ne peut nuire que d’une manière indirecte à la prospérité publique ; mais si le représentant de la puissance exécutive descend dans la lice, le soin du gouvernement devient pour lui l’intérêt secondaire ; l’intérêt principal est son élection. Les négociations, comme les lois, ne sont plus pour lui que des combinaisons électorales ; les places deviennent la récompense des services rendus, non à la nation, mais à son chef. Alors même que l’action du gouvernement ne serait pas toujours contraire à l’intérêt du pays, du