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grandir dans l’opinion, par ce qu’on attendrait de lui, et par ce qu’il exécuterait.

Le président des États-Unis est, il est vrai, le chef de l’armée, mais cette armée se compose de 6,000 soldats ; il commande la flotte, mais la flotte ne compte que quelques vaisseaux ; il dirige les affaires de l’Union vis-à-vis des peuples étrangers, mais les États-Unis n’ont pas de voisins. Séparés du reste du monde par l’Océan, trop faibles encore pour vouloir dominer la mer, ils n’ont point d’ennemis, et leurs intérêts ne sont que rarement en contact avec ceux des autres nations du globe.

Ceci fait bien voir qu’il ne faut pas juger de la pratique du gouvernement par la théorie.

Le président des États-Unis possède des prérogatives presque royales, dont il n’a pas l’occasion de se servir, et les droits dont, jusqu’à présent, il peut user sont très circonscrits : les lois lui permettent d’être fort, les circonstances le maintiennent faible.

Ce sont, au contraire, les circonstances qui, plus encore que les lois, donnent à l’autorité royale de France sa plus grande force.

En France, le pouvoir exécutif lutte sans cesse contre d’immenses obstacles, et dispose d’immenses ressources pour les vaincre. Il s’accroît de la grandeur des choses qu’il exécute et de l’importance des événements qu’il dirige, sans pour cela modifier sa constitution.

Les lois l’eussent-elles créé aussi faible et aussi circonscrit que celui de l’Union, son influence deviendrait bientôt beaucoup plus grande.