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Lors donc que la puissance administrative intervient dans le cercle de ses attributions, elle ne se trouve point abandonnée à elle-même comme en Europe. On ne croit pas que les devoirs des particuliers aient cessé, parce que le représentant du public vient à agir. Chacun, au contraire, le guide, l’appuie et le soutient.

L’action des forces individuelles se joignant à l’action des forces sociales, on en arrive souvent à faire ce que l’administration la plus concentrée et la plus énergique serait hors d’état d’exécuter (I).

Je pourrais citer beaucoup de faits à l’appui de ce que j’avance ; mais j’aime mieux n’en prendre qu’un seul, et choisir celui que je connais le mieux.

En Amérique, les moyens qui sont mis à la disposition de l’autorité pour découvrir les crimes et poursuivre les criminels, sont en petit nombre.

La police administrative n’existe pas ; les passeports sont inconnus. La police judiciaire, aux États-Unis, ne saurait se comparer à la nôtre ; les agents du ministère public sont peu nombreux, ils n’ont pas toujours l’initiative des poursuites ; l’instruction est rapide et orale. Je doute cependant que, dans aucun pays, le crime échappe aussi rarement à la peine.

La raison en est que tout le monde se croit intéressé à fournir les preuves du délit et à saisir le délinquant.

J’ai vu, pendant mon séjour aux États-Unis, les habitants d’un comté où un grand crime avait été commis, former spontanément des comités, dans le but de poursuivre le coupable et de le livrer aux tribunaux.