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rien maintenir de durable. Quand on y regarde de près, on aperçoit que ce qui a fait long-temps prospérer les gouvernements absolus, c’est la religion et non la crainte.

On ne rencontrera jamais, quoi qu’on fasse, de véritable puissance parmi les hommes, que dans le concours libre des volontés. Or, il n’y a au monde que le patriotisme, ou la religion, qui puisse faire marcher pendant long-temps vers un même but l’universalité des citoyens.

Il ne dépend pas des lois de ranimer des croyances qui s’éteignent ; mais il dépend des lois d’intéresser les hommes aux destinées de leur pays. Il dépend des lois de réveiller et de diriger cet instinct vague de la patrie qui n’abandonne jamais le cœur de l’homme, et, en le liant aux pensées, aux passions, aux habitudes de chaque jour, d’en faire un sentiment réfléchi et durable. Et qu’on ne dise point qu’il est trop tard pour le tenter ; les nations ne vieillissent point de la même manière que les hommes. Chaque génération qui naît dans leur sein est comme un peuple nouveau qui vient s’offrir à la main du législateur.

Ce que j’admire le plus en Amérique, ce ne sont pas les effets administratifs de la décentralisation, ce sont ses effets politiques. Aux États-Unis, la patrie se fait sentir partout. Elle est un objet de sollicitude depuis le village jusqu’à l’Union entière. L’habitant s’attache à chacun des intérêts de son pays comme aux siens mêmes. Il se glorifie de la gloire de la nation ; dans les