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américaine se rompra sera un moment très-solennel dans l’histoire[1]. »

Mais si la rupture de l’Union américaine l’eût contristé, elle ne l’eût point étonné. Il ne l’avait que trop prévue ; et cette catastrophe figure, dans tout ce qu’il a écrit, parmi les éventualités néfastes qu’il lui paraissait le plus désirable de prévenir et le plus difficile de conjurer.

Non-seulement il avait vu dans l’établissement de l’esclavage en Amérique une plaie cruelle ; il y avait vu aussi un péril permanent, le plus grand de tous pour l’Union américaine[2]. Il avait fait plus : il avait aperçu la forme sous laquelle ce péril éclaterait avec ses fatales conséquences ; et il prédit l’événement, quand il montre le pouvoir fédéral aux États-Unis succombant peu à peu sous l’indépendance excessive des États particuliers, et marchant fatalement à sa ruine par la faiblesse et l’impuissance.

« Ou je me trompe fort, dit-il, ou le gouvernement fédéral des États-Unis tend chaque jour à s’affaiblir. Il se retire successivement des affaires ; il resserre de plus

  1. V. Lettre à M. Senior, du 4 septembre 1856, t. VI.
  2. « La question de l’esclavage, dit-il, était pour les maîtres au Nord, une question commerciale et manufacturière ; au Sud, c’est une question de vie ou de mort. Dieu nie garde de chercher, comme certains auteurs américains, il justifier le principe de la servitude des nègres. Je dis seulement que tous ceux qui ont admis cet affreux principe ne sont pas également libres aujourd’hui de s’en départir. » (T. II, p. 338)