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fonciers un grand intérêt de sentiment, de souvenirs, d’orgueil, d’ambition à conserver la terre, on peut être assuré que tôt ou tard ils la vendront, car ils ont un grand intérêt pécuniaire à la vendre, les capitaux mobiliers produisant plus d’intérêts que les autres, et se prêtant bien plus facilement à satisfaire les passions du moment.

Une fois divisées, les grandes propriétés foncières ne se refont plus ; car le petit propriétaire tire plus de revenu de son champ[1], proportion gardée, que le grand propriétaire du sien ; il le vend donc beaucoup plus cher que lui. Ainsi les calculs économiques qui ont porté l’homme riche à vendre de vastes propriétés, l’empêcheront, à plus forte raison, d’en acheter de petites pour en recomposer de grandes.

Ce qu’on appelle l’esprit de famille est souvent fondé sur une illusion de l’égoïsme individuel. On cherche à se perpétuer et à s’immortaliser en quelque sorte dans ses arrière-neveux. Là où finit l’esprit de famille, l’égoïsme individuel rentre dans la réalité de ses penchants. Comme la famille ne se présente plus à l’esprit que comme une chose vague, indéterminée, incertaine, chacun se concentre dans la commodité du présent ; on songe à l’établissement de la génération qui va suivre, et rien de plus.

On ne cherche donc pas à perpétuer sa famille, ou du

  1. Je ne veux pas dire que le petit propriétaire cultive mieux, mais il cultive avec plus d’ardeur et de soin, et regagne par le travail ce qui lui manque du côté de l’art.