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L’état social des Américains est éminemment démocratique. Il a eu ce caractère dès la naissance des colonies ; il l’a plus encore de nos jours.

J’ai dit dans le chapitre précédent qu’il régnait une très grande égalité parmi les émigrants qui vinrent s’établir sur les rivages de la Nouvelle-Angleterre. Le germe même de l’aristocratie ne fut jamais déposé dans cette partie de l’Union. On ne put jamais y fonder que des influences intellectuelles. Le peuple s’habitua à révérer certains noms, comme des emblèmes de lumières et de vertus. La voix de quelques citoyens obtint sur lui un pouvoir qu’on eût peut-être avec raison appelé aristocratique, s’il avait pu se transmettre invariablement de père en fils.

Ceci se passait à l’est de l’Hudson ; au sud-ouest de ce fleuve, et en descendant jusqu’aux Florides, il en était autrement.

Dans la plupart des États situés au sud-ouest de l’Hudson, de grands propriétaires anglais étaient venus s’établir. Les principes aristocratiques, et avec eux les lois anglaises sur les successions, y avaient été importés. J’ai fait connaître les raisons qui empêchaient qu’on pût jamais établir en Amérique une aristocratie puissante. Ces raisons, tout en subsistant au sud-ouest de l’Hudson, y avaient cependant moins de puissance qu’à l’est de ce fleuve. Au sud, un seul homme pouvait, à l’aide d’esclaves, cultiver une grande étendue de terrain. On voyait donc dans cette partie du continent de riches propriétaires fonciers ; mais leur influence n’é-