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l’héroïsme féminin

présent ; lui, de ce qui n’est plus ; elle, de ce qui pourrait être. Et ils sont, à la fois, les plus heureux des amants et les plus malheureux.

Ce qui aide Juliette à supporter cette existence de recluse, c’est le puissant instinct de la servitude amoureuse, ressort de tout grand amour féminin. Servitude volontaire, aux délices cachées, ignorées de l’homme ; servitude qui ne comporte ni abaissement, ni diminution ; mais servitude dangereuse parce que l’homme s’y accoutume trop bien, et n’y attache plus de prix. Juliette a compris que Victor Hugo — son « Toto », comme elle l’appelle puérilement — est fort mal soigné dans la maison conjugale. Indolente et désordonnée, Adèle Hugo ne s’occupe guère du ménage. Chez elle, la cuisine est mauvaise, les matelas rembourrés de têtes de clous, les chambres glaciales, les lampes fumeuses et les encriers desséchés. Victor a des bretelles de paysan et des bas percés. Ses souliers sont des écumoires. Ses gilets ne connaissent pas le dégraisseur. Sa redingote n’est jamais brossée. Juliette entreprend de donner à son « Toto » un peu du bien-être qu’il ne trouve pas chez lui. Adroite,