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la femme et son secret

qu’elle lui met le feu dans l’âme. Il n’ose encore l’approcher. Il conserve, de son austère adolescence et de son mariage précoce, des idées très nobles et des préjugés très bourgeois. Cette Juliette a été l’élève, le modèle et la maîtresse du sculpteur Pradier, dont elle a eu un enfant. Elle a mené la vie de bohème, insouciante et besogneuse. Ce n’est pas une demoiselle à donner en exemple aux jeunes personnes bien élevées, mais ce n’est pas une courtisane, comme ses biographes l’écriront. Si elle appartient aujourd’hui au prince Demidoff, cela ne signifie pas qu’elle soit à qui veut la payer. Comme la suite le prouvera, elle a péché par caprice, par faiblesse, par insouciance, par pauvreté, jamais par vice. Elle a le cœur innocent.

Les hommes qu’elle a connus ne la valaient pas, bien qu’ils se crussent très au-dessus d’elle. Pradier, médiocre sculpteur, est un égoïste solennel, bizarre mélange de dandy, de Lovelace, de prédicant génevois et de Joseph Prudhomme. Il donne à Juliette des conseils d’économie et de prudence, mais il ne lui donne que cela, bien qu’elle doive élever leur fille Claire. Alphonse Karr, roman-