Page:Tinayre - La Chanson du biniou, paru dans Le Monde illustré, 1890.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.


XVI


Mais voyez, au bout du jardin, près, du puits, n’est-ce pas Maria-Josèphe elle-même ? Assise sur le banc de pierre que ronge et verdit la mousse, elle semble attendre, les yeux tournés vers Kermario. C’est bien elle, plus pâle, plus mince dans sa robe sombre, plus grave aussi, mais belle toujours. Une petite cruche à trois becs déborde à ses pieds, mais elle ne la voit pas, absorbée dans sa pensée.

Là-bas, sur Kermario, le soleil se couche. Pas un nuage dans le ciel d’automne. Une rougeur d’incendie, immense, embrase l’horizon, envoyant son ardent reflet aux derniers menhirs des alignements, énormes, convulsés, pareils à des monstres de pierre… Les champs moissonnés, les prés fauchés, les landes rases s’étendent à perte de vue, baignés d’une lumière pourpre, et sur la gauche, pâle, transparente, une buée monte de la mer invisible, noyant la côte, d’où jaillit, aigu comme une flèche, le clocher de Carnac.

Mais la grave jeune femme, assise au coin du puits, ne regarde pas le clocher qui sort de terre.

Il n’y a pas bien longtemps, — deux mois à peine, que Yann l’a menée, au soir des noces, dans sa chaumière de Kerloquet… Ah ! quelle journée tout de même, quand elle y songe !… Les larmes du ré-