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— Vous voudrez m’aimer ?

Elle répondit en se cachant le visage :

— Vous le savez bien, je ne puis pas faire autrement… ne me forcez pas à dire…

Il sourit.

— Vous me suivrez, alors… pour toujours.

Elle baissa la tête.

— Hélas ! vous le devinez… mais comment pouvez-vous m’aimer, moi, si sotte, si niaise… Vous m’élèverez jusqu’à vous.

— L’amour égalise tout, dit-il.

Puis il y eut un silence, un de ces silences anxieux qui précèdent l’aveu d’une pensée difficile à dire.

Il s’était agenouillé ; il prit ses mains qu’elle tenait obstinément sur ses yeux ; et comme elle tremblait, il se fit très respectueux, très tendre, noyant ses frayeurs dans un flot de tendresses légères, timides, chastes en apparence, qui lui livraient le cœur sans défense de l’enfant. Alors, elle s’enhardit jusqu’à murmurer des phrases hésitantes où il devina son amour. Et dans tout ce qu’elle disait, tout autre qu’un jeune homme enivré par la dangereuse solitude de ces bois, le trouble visible de cette fille charmante et son propre désir, eût senti tant d’ignorance de la vie, tant d’inconscience du danger, tant de simplicité enfantine qu’il eût abandonné tout autre rêve que celui de la laisser, paisible et pure, à quelque meilleur amour.