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— Tant qu’il vous plaira, monsieur Robert.

— En ce cas… toujours, répondit-il avec un sourire, sans paraître remarquer l’ardente rougeur qui couvrit les joues de Maria-Josèphe.

Yann ne doutait plus de son malheur. Ses jalousies d’autrefois lui semblaient bien vaines auprès de sa douleur d’aujourd’hui… Pour se donner une contenance, il but une goutte de cidre restée au fond de son verre et se leva. Mais Maria-Josèphe, tournant à demi la tête, le regarda si doucement qu’il se sentit tout remué. Il n’y avait point d’amour pourtant dans ses yeux, mais point de coquetterie non plus ; rien que de la pitié, une timide pitié qui semblait demander grâce. Hélas ! la douceur même de ces prunelles agrandit la plaie au cœur de Yann, en affirmant davantage leur expression toute différente de celle d’autrefois… Il eût mieux aimé les railleries et les brusques caprices dont il avait tant souffert ; il les eût mieux supportés que l’émotion inquiète du regard de la jeune fille, — indice des troubles de son cœur.

Yann parti, Robert ferma son album.

— C’est à recommencer, dit-il.

— Oh ! dit-elle fâchée.

Il sourit.

— C’est à recommencer sur la toile. Cette fois, je tiens mon tableau. Savez-vous que je vous le devrai, mademoiselle Maria-Josèphe ? Je ne suis, moi, que le très humble interprète de la nature et, Dieu merci, quand la nature est si belle, ce serait un crime que de vouloir la corriger… et une sottise. Je n’essayerai pas même de l’idéaliser : une copie