Page:Tinayre - Hellé, 1909.djvu/73

Cette page a été validée par deux contributeurs.
71
Hellé

secs, du linge. Qu’on prépare un verre de vin chaud.

J’avais fait mettre dans la chambre de mon oncle un fagot qui s’enflamma rapidement. Pendant que M. de Riveyrac changeait de costume, je fis chauffer le vin sucré, avec un brin de cannelle et une tranche de citron.

— Merci, dit l’oncle Sylvain, Je suis glacé. L’averse m’a saisi en pleins champs, et je n’ai pas voulu me réfugier sous les arbres comme certain berger imbécile que j’ai vu foudroyer avec ses moutons… Ma bête tremblait de peur et avançait tant bien que mal… Bref, je suis revenu, mouillé jusqu’aux os. Heureusement je suis solide, Hellé. J’en serai quitte pour une courbature.

— Il faut vous coucher, mon oncle. Vous frissonnez. Je vais bassiner votre lit.

— Me coucher, moi, en plein jour ? Me prends-tu pour une femmelette ? Laisse, Hellé… Dans un instant je serai tout à fait réchauffé.

— Mon oncle, vous êtes pâle. Vos dents claquent. Je vous en prie, couchez-vous une heure ou deux.

— Ça va se passer. Ne t’inquiète pas, ma bonne petite.

Ne pouvant vaincre son obstination, je remis un fagot dans la cheminée et je jetai une couverture sur les genoux de mon oncle. Peu après je vis qu’il frissonnait encore, tandis qu’une rougeur ardente couvrait ses pommettes. Je pris sa main, elle était sèche et brûlante ; le pouls montait avec rapidité.

— Oncle, dis-je, vous avez la fièvre… Si vous m’aimez, obéissez-moi. Vous allez vous mettre au lit et Babette ira chercher le médecin.

— Soit, je me coucherai puisque tu l’exiges et puisque j’ai la fièvre, mais pas de médecin, Hellé ! Si tu m’amènes cet âne, je le flanque à la porte… Que j’aie bien chaud, que je dorme une bonne nuit, et demain il n’y paraîtra plus.

Le lendemain, mon oncle délirait, et le médecin, appelé à son insu, diagnostiquait une pleurésie.

Bien que ce mot seul m’épouvantât, je ne perdis point l’espérance. Assistée de Babette et de Marie Lamirault, je suivis les prescriptions du docteur avec une ponctualité qui impatientait parfois mon oncle. La maladie ne l’effrayait pas, ni la mort, — mais se sentir immobile, impuissant, livré à cet âne de médicastre qu’il injuriait dès que le pauvre homme avait quitté sa chambre, — cela mettait en rage l’oncle Sylvain. Il m’aimait trop pour se refuser à mes soins, à mes prières ; mais quand, vers le milieu du jour, la fièvre lui laissait un peu de lucidité et de répit, il s’affligeait de ma pâleur, de ma fatigue.

Une semaine s’écoula sans apporter aucune amélioration, et, vers le neuvième jour, comme le médecin me quittait en hochant la tête, mon oncle me fit appeler. C’était dans un de ces intervalles, entre les accès de fièvre, où, malgré le bienfait d’un repos relatif, l’extraordinaire faiblesse du malade apparaissait. Mon cœur se serra quand je remarquai la maigreur du beau visage romain enfoncé dans les oreillers, le sifflement qui interrompait les paroles de mon oncle. Je sentis trembler mes lèvres et des sanglots me monter à la gorge. Mais il fallait réprimer ces signes d’une inquiétude que je n’osais me formuler à moi-même. Avec un effort d’énergie, je me domptai.

— Hellé… balbutia l’oncle Sylvain, Écoute… je suis très malade… Tu vas… écrire…

Une quinte de toux l’arrêta. Il étouffait. Je le soulevai, je le soutins dans mes bras, contre ma poitrine.

— Mon oncle, je vous en conjure. Ne parlez plus. Cela vous fait du mal.

— Il faut… écrire…

— Dites un nom seulement. Vous désirez voir quelqu’un ? Vous craignez que je ne suffise pas à vous soigner ? C’est cela, n’est-ce pas ?…

Il fit un signe d’assentiment, et un souffle passa entre ses lèvres :

— Genesvrier.

— Vous voulez que j’écrive à monsieur Genesvrier ?…

— Genesvrier, reprit l’oncle… notre ami…