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Hellé

— La Vierge catholique est-elle humaine, elle, dont la maternité ne fut glorieuse que par la réprobation de l’amour ?… Ne vous désolez pas, chère madame ; j’ai reçu, quoi que vous en pensiez, une forte éducation morale, et ce sont les plus grands parmi les hommes qui m’ont enseigné mon devoir. Mon devoir est-il de me mutiler, de m’humilier, de chercher le sacrifice comme but, d’aimer la douleur ? Je ne le crois point. Mon devoir est de réaliser la femme que je puis être, et d’être heureuse en aidant au bonheur d’autrui. J’ai le respect de la vérité, l’horreur de ce qui diminue et avilit. Ce que vous appelez mon orgueil constitue ma vertu même.

— Puisse cet orgueil vous guider et vous défendre !… Mais voici quelqu’un. Voulez-vous sonner pour le thé ?

La porte du salon s’ouvrit. Un jeune homme entra et vint baiser la main de la vieille dame.

— Bonjour, Maurice, dit madame Marboy en souriant à ce joli rite suranné du baise-main. Je me croyais oubliée ; mais, dès que vous paraissez, on vous pardonne. Comment va votre cousine de Nébriant ?

— À merveille, chère madame. Elle est tout occupée par les répétitions d’un drame de Mæterlinck qu’on va jouer chez elle, prochainement. Pour moi, j’ai mille excuses à faire…

— Tenez-les pour faites et n’en parlons plus, Maurice ; vous me trouvez en bien belle et bien jeune compagnie. Il faut que je vous présente à mademoiselle de Riveyrac. Hellé, je vous présente Maurice Clairmont, un poète, un futur grand homme que j’ai connu tout enfant.

Je répondis au salut du jeune homme, et quand nous eûmes repris nos places, je sentis son regard m’effleurer, me fuir, revenir sur moi avec persistance.



MAURICE CLAIRMONT…

Maurice Clairmont n’avait pas trente ans. Il était svelte et robuste, d’une figure si heureuse qu’elle attirait la sympathie comme un aimant. Ce visage mat, ces touffes de cheveux noirs et lustrés comme des plumes, la splendeur des dents, l’éclat bleu des prunelles, composaient un type de beauté virile vraiment digne d’un poète et qu’aucune femme ne devait regarder froidement.

— Madame de Nébriant est toujours une fervente de Mæterlinck, disait madame Marboy. Je l’admire de résister aux ennuis et aux fatigues que comportent toujours les représentations d’amateurs. Je pense à la boutade de Molière : « Singuliers animaux à mener que des comédiens ! » Qu’est-ce donc quand ces comédiens sont des gens du monde !

— Vous n’assisterez pas à la représentation ?

— Votre aimable cousine m’excusera. Je suis trop vieille. Les veilles me tuent et votre Mæterlinck me fait peur. Vous me raconterez la fête, mon cher Maurice.