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avant l’amour

en habit noir, décente, souriante, effroyable ? Ne fais-je pas, en ce moment, tout ce que je puis pour m’affranchir de cette dette, de cette femme, être à toi, tout à toi ? Et si tu ne veux pas me comprendre, si tu ne m’accordes pas un délai, que deviendrai-je ? Voyons, Marianne, refléchis. La vie est une bataille. Je prends les armes que le hasard met sous ma main. Chérie, laissons ce pénible sujet. Dis-moi que tu m’as pardonné, que tu m’aimes.

Ses lèvres cherchaient mon cou.

— N’est-ce pas, tu m’aimes ?

Il s’enhardissait, il s’enfiévrait à me sentir si proche. Mais près de lui, mes sens engourdis, mes nerfs surmenés, mon âme lasse ne pouvaient plus s’émouvoir. Indifférente, affreusement indifférente, sans tendresse, sans honte, même sans colère, saturée de morne dégoût, je détournai la tête. La voiture débouchait sur le quai, entre les façades uniformes des maisons et le fleuve d’un vert souillé, sous le ciel livide. Des platanes malingres s’effeuillaient aux angles des ponts, et dans la mélancolie