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qu’opprime Lacédémone ? Elle commande à beaucoup de peuples ; mais loin d’être épouvantés, n’en concevez que plus de confiance. Songez que vous aussi vous n’eûtes jamais plus d’ennemis que lorsque beaucoup de peuples vous obéissaient. Tant qu’ils manquèrent d’appui, leur haine contre vous resta cachée ; mais leurs vrais sentimens se manifestèrent dès qu’ils eurent les Lacédémoniens pour chefs. De même aujourd’hui, si l’on voit les armes de nos deux républiques attaquer Sparte, plusieurs de ses ennemis secrets, n’en doutez pas, se montreront à découvert.

« Réfléchissez, et vous jugerez sans peine que nous disons la vérité. Est-il un peuple attaché de cœur à Sparte ? Les Argiens n’écoutent-ils pas toujours contre elle leur ressentiment ? Ajoutez les Éléens, ses ennemis déclarés depuis qu’ils se voient privés de leurs villes et d’un vaste territoire. Que dirai-je des Corinthiens, des Arcadiens, des Achéens, qui, sollicités par elle, ont partagé, dans la guerre qu’elle vous a faite, les travaux, les périls, les dépenses ? Après avoir réussi dans ses ambitieux projets, quelle part leur a-t-elle donnée à l’empire, aux honneurs, aux richesses ? C’est parmi les hilotes qu’elle va prendre des harmostes pour les villes soumises : quant aux peuples qui l’ont secondée dans ses conquêtes, et qui sont libres puisque la fortune a couronné leurs efforts, elle s’en déclare despote. Ceux de vos alliés qu’elle attirea son parti, elle les trompe visiblement, puisque, au lieu de les rendre libres, elle double leur esclavage ; ils sont opprimés par des harmostes et par des hommes que Lysandre a établis dans chaque ville. Le souverain de l’Asie, qui a été d’un si grand secours à vos rivaux pour vous vaincre, est-il aujourd’hui différemment traité que s’il eût marché contre eux avec vous ? Il est donc probable qu’en vous montrant les vengeurs d’injures aussi manifestes, vous parviendrez au plus haut degré de puissance. Auparavant vous ne commandiez qu’aux peuples maritimes ; bientôt vous aurez la prééminence sur ces peuples, sur les Thébains, sur les Péloponnésiens, sur les Grecs, et le roi de Perse lui-même, ce monarque si puissant.

Vous le savez, nous n’avons pas été pour Lacédémone des alliés inutiles ; mais vous devez vous attendre à nous voir maintenant vous servir avec beaucoup plus de chaleur que nous n’avons servi les Lacédémoniens. Ce n’est pas, comme alors, pour défendre des insulaires, des Syracusains, des étrangers, mais pour nous venger nous-mêmes que nous unirons nos ressentimens aux vôtres. N’ignorez pas non plus que la domination de l’ambitieuse Sparte est bien plus facile à détruire que n’était votre puissance. Vous aviez des flottes pour contenir vos alliés dans le devoir, tandis que les Lacédémoniens, en petit nombre, oppriment des villes plus peuplées que la leur et aussi puissantes en armes. Athéniens, voilà ce que nous avions à dire : sachez, au reste, qu’en sollicitant votre alliance, nous croyons plus travailler pour votre république que pour la nôtre. »

Ainsi parla l’un des députés. Plusieurs Athéniens opinêrent dans le même sens, et l’on décréta à l’unanimité secours aux Thébains. Thrasybule lut le décret par forme de réponse aux ambassadeurs, en ajoutant que quand bien même le Pirée serait encore démantelé, on braverait tout pour les vaincre en reconnaissance. « En effet, leur dit-il, vous, Thébains, on ne vous reprochera pas d’avoir joint vos armes à celles de nos ennemis ; mais nous, nous combattrons avec vous contre les Lacédémoniens s’ils viennent à nous attaquer. »

Au retour des ambassadeurs, les Thébains se préparèrent à se défendre, les Athéniens à les secourir ; et sans plus tarder, les Lacédémoniens entrèrent dans la Bœotie sous le commandement de Pausanias, avec toutes les troupes du Péloponnêse, à la réserve des Corinthiens, qui refusèrent de marcher.

Cependant Lysandre, qui conduisait les Phocéens, les Orchoméniens et leurs voisins, et qui avait devancé Pausanias au rendez-vous, ne put rester en place ni attendre l’armée envoyée de Sparte : suivi de ses troupes, il approcha des murs d’Haliarte et persuada aux habitans de quitter le parti des Thébains et de s’affranchir ; mais quelques Thébains qui étaient dans la ville ayant traversé l’exécution de ce projet, il résolut de donner assaut. À cette nouvelle les Thébains accourent avec leurs hoplites et leurs cavaliers. Fut-il surpris par l’ennemi, ou le voyant venir, l’attendit-il de pied ferme comme assuré de la victoire, on l’ignore ; mais ce qui est constant, c’est que l’on combattit sous les